My land

Amoreiras-Gare- Alentejo

Nous allons chez Reineke, une hollandaise installée au milieu des plantations de chênes liège et d'oliviers depuis près de vingt ans. Elle nous a envoyé des indications très précises en anglais, il fait déjà nuit. A la sortie du village, nous empruntons un chemin de terre. Et on roule, pour se repérer, il faut compter les maisons disséminées, tourner à gauche à la deuxième maison. Dans la nuit sans lampadaires, on ne sait si une bâtisse est une maison ou un hangar ou un corps de ferme à l'abandon. Nous roulons. C'est là. Tourne. Nous roulons. Cela ne correspond plus, peut-être que ce n'était pas la bonne maison ou bien pas le bon chemin au départ. On continue sur la piste, nids de poule, terre et poussière, champ d'oliviers à perte de vue. Espace désert et infini. Nous nous perdons. Les voies du train, c'était dans les indications, non? Non, c'est pas là. Essaye par là. Nous tournons pendant des heures avant de téléphoner à Reineke. Nous n'étions pas sur le bon chemin. Il fallait prendre la piste à l'entrée du village.

Reineke nous accueille sur sa terre, my land comme elle dit. Voilà 17 ans, Reineke, quitte son emploi et part voyager au Portugal avec son compagnon et leurs deux enfants. Besoin, envie de changer de vie. Ils tombent amoureux de cette maison au coeur des plantations de chênes lièges et d'oliviers. Ils n'ont pas assez d'argent pour l'acheter, ils négocient, ils apprennent à connaître la propriétaire qui finit par accepter leur offre. Voilà une nouvelle vie qui commence. Un voyage qui devient une installation.

La rencontre avec Reineke tombe à pic. Chris et moi-même, nous nous questionnons sur la possibilité de s'installer ici. Nous sommes énivrés par le paysage et les pasteis de nata. Au village, tout le monde devine très vite que nous logeons chez Reineke. Il n y a guère de touristes par ici. Reineke a recréé un monde à elle, entourée par la végétation luxuriante, ses enfants et des amis hollandais...et les voyageurs de passage comme nous. Je sens en parlant avec elle quelque chose que j'avais déjà perçu dans les Cévennes. A quel point les arbres, le relief, les formes et les couleurs dessinent les paysages où nous nous sentons chez nous. Il suffit d'une lumière particulière pour que les couleurs changent ici. J'y retrouve le ciel changeant de la mer du Nord. Le chêne liège perché sur sa colline me rappelle un tableau de ma grand-mère. L'odeur des eucalyptus me baigne dans une rivière fraîche et énergisante qui me fait bondir comme un animal joyeux sur les chemins. Je suis reconnectée avec mes sens.

Reineke nous dit qu'elle n'ait pas retournée au Pays-Bas depuis plus de 10 ans. Sa famille et amis viennent la voir. Les liens ont changé, les moments ensemble durent plus longtemps et se déroulent à l'écart des obligations quotidiennes de chacun. D'où vient la qualité des liens? de la proximité, de la fréquence, du contenu? Elle nous parle de liens plus forts quoique peu fréquents. Peut-être car elle s'est défait des liens existants par obligation, du besoin de combler son environnement par la présence des autres?

Elle nous pousse à l'audace, nous répétant chaque fois que l'on discute avec elle qu'il faut écouter son coeur.

Où est mon coeur? Où est ton coeur Chris? Il est là en nous. Alors peut-être que ce qui est important, ce n'est pas tant le lieu car nous emmenons notre coeur partout avec nous. Où est-ce que c'est "être chez soi"?

Anne